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Un excellent article !

mardi 10 août 2010, par pascal Samain

La concentration ferroviaire

Est-elle morbide cette attirance mienne pour les récits de condamnés, de bagnards et d’autres escompteurs de peines en tous genre ? Participe-t-elle d’un voyeurisme malsain cette passion pour l’histoire d’êtres évoluant dans l’univers de la répression absolue, à la recherche d’un qui gnon de pain, d’un peu d’affection, d’une cigarette, pourvu que celle-ci ne soit pas la dernière ? Je l’ignore, mais c’est plus fort que moi : des Souvenirs de la maison des morts, comme les appelle Dostoà¯evski, à la description de la Journée d’Ivan Denissovitch de Soljenitsine, en passant par les récits concen trationnaires de Primo Levi, je ne peux m’empêcher d’être admiratif devant les souffrances physiques et morales infligées à ces pauvres hères, les marchandages mesquins auxquels le dénuement les pousse ; mais aussi devant leur recherche de la dignité à travers de petites choses, pour eux grandes, aux quelles se raccrocher : pour certains d’entre eux le souvenir, le sens de l’observation poussé à l’extrême, leur recherche de sens pour l’univers restreint qui les entoure... Toutes proportions gardées, L’indicateur des Chemins de Fer, de Pascal Samain, est un ivre qui fait décidément partie du genre. Ce qui le distingue des ouvrages cités plus haut, c’est la nature de l’univers qu’il décrit : la concentration ferroviaire. L’histoire est celle d’un pauvre type qui, à la suite de ce qu’il appelle un « dysfonctionnement du réel », c’est-à -dire l’achat d’une bicoque au beau milieu d’une province reculée de notre gris et néanmoins belge royaume, se voit condamné, pour se rendre à son boulot dans la capitale du royaume précité, à l’in humaine « peine de navette ». Désormais il partagera le sort peu enviable de ces individus enfermés matin et soir dans les affreux compartiments de la « Société Nationale du Train-Train » (SNTT), le matin encore pâteux de leur mauvaise nuit, le soir suants et dormants, harassés par leur dure journée de travail, quand ils ne sont pas de dangereux lurons provocateurs à la solde de la SNTT. Pour éviter de sombrer dans l’oubli de sa profonde identité, qu’entraîné inexorable ment l’obligatoire double trajet quotidien, le narrateur décide de se transformer en « Indi cateur des Chemins de Fer » (IDCDF) et de consigner dans un carnet tout ce qui se passe durant ses navettes. Ou plutà´t, tout ce qui ne se passe pas, car, c’est là le drame, sur la navette comme dans bien d’autres prisons, il ne se passe rien. Heureusement, grâce à l’étude, théorique, du livret des Conditions générales pour le transport des voyageurs, et à celle, plus pratique, des comportements de ses codétenus, l’IDCDF s’en sort, à grand peine cependant, et redevient cet homme qui, bien qu’aliéné physiquement et morale ment par son atroce peine, retrouve pleine ment sa dignité d’être humain. Seul un humour frisant la répétition, qui colle on ne peut mieux à ces allers-retours journaliers, permet à Pascal Samain d’éviter l’ennui qu’une telle description ne pouvait manquer d’entraîner. L’auteur le manie avec habileté et jubilation, en dose les effets, et parvient ainsi à plonger le lecteur dans l’atroce inhumanité du « train-train ». La peinture qu’il livre des autres condamnés n’est pas toujours tendre, mais comment le serait-elle lorsque ceux-ci se montrent si souvent satisfaits de leur sort. Malgré tout, en définitive, c’est un message d’espoir que Samain nous délivre, et il se prend même à rêver à l’abolition de la peine de navette. A la libération : comme lorsque, pour des rai sons techniques, le train doit s’arrêter, et qu’il voit ses congénères libérés se ruer hors des compartiments, retirer leurs chaussures et lancer leur attachés-cases en l’air, même si, lui, l’IDCDF, n’y croit pas vraiment... Moi, j’espère pour lui que sa peine finira, car c’est un grand malheur... Oui, un grand malheur...

Noà« l Lebrun

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